Le chef français de Club Gascon partage depuis plus de 20 ans l’amour des produits du sud-ouest. Véritable témoin privilégié de la restauration londonienne, il représente les couleurs de sa région lors de la Taste of London.
C’est le chef dont tout le monde parle en ce moment. Pascal Aussignac est le Français de Smithfield à qui tout réussit. Etoile Michelin, gastro pub de caractère mais aussi nouveau place to be 100% fruits de mer à Westfield. Avec sa cuisine gasconne et son style élégant inimitable, le chef fait partie des têtes d’affiche de la nouvelle édition de Taste of London, le festival du goût de Londres du 19 au 22 juin.
Londres Mag : Pourquoi avoir ouvert un restaurant à Londres ?
Pascal Aussignac : Par frustration. J’avais l’ambition d’ouvrir un restaurant à Paris, dès 25 ans et … je n’y suis pas arrivé, j’ai, pourtant essayé de pousser les portes qui étaient difficiles d’accès. J’étais un provençal et donc vouloir et pouvoir, ne faisaient pas bon ménage. Quand j’ai démarché les banques, avec des projets réfléchis je n’arrivais pas à convaincre car celles-ci me demandaient toujours des garanties personnelles ou familiales auxquelles je ne pouvais pas répondre. J’ai, donc, monté un restaurant en Provence financé par un groupe hôtelier, c’était une création. Tous les avantages et inconvénients d’être chef d’entreprise à 26 ans ! L’expérience n’a duré que deux saisons car j’ai rencontré entre temps par le biais d’une de mes amies, son frère Vincent (Labeyrie ndlr) qui était aussi en changement de vie et souhaitait ouvrir un restaurant. Il n’avait pas de compétences culinaires mais… les capitaux. Enfin de compte Fabienne a organisé un lunch chez elle avec lui et on s’est rencontré et nous avons imaginé un restaurant avec 60 places assises en Europe, hors de France. Ça aurait pu être Berlin, l’idée c’était d’être en Europe. Vincent a pesé le pour et le contre de nombreuses capitales européennes, on était en 1996, et, en fin de compte, Londres a gagné. Londres parce qu’il y a une relation historique avec le sud-ouest français, je suis toulousain et nous voulions raconter une histoire. Londres, à l’époque, n’avait pas de problème financier, c’était une ville en jachère au niveau restauration. Et puis l’idée c’était de partir à l’aventure. Chose qu’on a pu faire bien plus facilement qu’en France. Vincent a commencé à comprendre la ville, à voir des agents et puis on est tombé amoureux de cet espace. Il a fallu un an pour dégoter un local fermé depuis 6 ans. C’était une coquille vide, tout en bois, mais le loyer était correct et le quartier connu. On n’est pas à Chelsea, on est dans le côté worker.
En plus, devant le marché aux viandes, cette place, l’église derrière nous, c’est le coin de Londres le plus ancien. Donc on est tombé amoureux de cet endroit, l’aménagement a duré un an. Et nous, nous avons ouvert le 13 octobre 98, il y a un peu plus de 20 ans.
Londres Mag : Le choix du thème du restaurant a été du coup assez évident ?
Pascal Aussignac : Le thème du resto d’où le nom, c’est une sélection du meilleur du sud-ouest. Déjà pour être un club, il faut au moins être deux personnes, donc voilà on a créé un petit club.
Et c’est vrai qu’en 99, un autre club a fait son apparition c’était le Sugar Club créé par Peter Gordon. Il a eu énormément de succès, et nous, nous avons ouvert, inconnus de tous. Ni Vincent ni moi avions travaillé en Angleterre avant, notre carnet d’adresses était peu étoffé ! Dans un quartier sans lumière publique, sans trottoir, même notre banque ne nous pas fait confiance, le seul soutien c’est Mourad (Mazouz ndlr) de Sketch parce que, lui, venait d’ouvrir deux ans avant. Nous l’avons rencontré et il a cru en nous, en notre projet et nous a aidés financièrement et donc l’aventure a commencé. On a débuté en bistrot, et puis le premier soir : 30 couverts et 3 semaines après, plus de 600 appels et une première review dans la presse. Parce qu’à cette époque, pas de blogueur pas de smartphone. Le food critic était le roi de la presse. Et ça nous a changé la vie, très belle revue. Tous les journalistes sont venus à la suite de cet article. Une folie. J’ai perdu 10 kilos, je dormais au resto… En plus, j’allais faire les courses car les fournisseurs ne voulaient pas livrer à cause du marché d’en face et des embouteillages. Pendant 10 ans, jusqu’en octobre 2008, nous avons été complets tous les soirs. Et là, il y a eu la crise financière et les premiers impactés, ça a été les restaurateurs. Notre première clientèle était issue du monde bancaire et financier, les banques n’ont plu voulu rembourser les expenses. Les repas d’affaires annulés c’est devenu très aléatoire et très compliqué à gérer. Tous les restos avaient des offres pour remplir le midi, il n’y avait jamais eu cela avant, une surenchère d’offres, c’était très compliqué de se démarquer. L’idée du sud-ouest c’était évident du coup.
Londres Mag : Avec des spécialités très “canard” du coup ?
Pascal Aussignac : Oui, tout gravite autour du canard, du cassoulet, des produits basques.Quand on parle du sud-ouest, on parle de Bordeaux-Toulouse-Biarritz, c’est ça le sud-ouest. On est sur un gros secteur, on le défend ce secteur-là et c’est vrai que les goûts toulousains et bordelais sont différents, donc ça nous permet une certaine richesse et une variété de produits assez importante. En plus, ma famille est toulousaine et la famille de Vincent est très connue, c’est l’un des plus grands noms de la région, le plus grand producteur de fois gras, saumon, et canard sous toutes ses formes. Je me suis focalisé sur le sud-ouest par rapport à cette histoire de gascon, parce que je suis né à Toulouse mais je n’ai jamais vécu à Toulouse, donc je suis beaucoup plus authentique à l’étranger que je ne l’aurais été si j’étais resté vivre à Bordeaux ou ailleurs.
Londres Mag : Et puis il y a eu l’étoile Michelin …
Pascal Aussignac : l’étoile Michelin en 2002, ça fait partie des grande dates d’un bistrot ! Je suis devenu un restaurant grâce à l’étoile. Le resto était déjà plein à cette date donc ça m’a permis juste d’avoir du crédit et d’être plus relax’ avec moi-même, plus crédible face au métier. Mais c’est vrai que le club d’il y a18 ans n’a rien à voir avec l’établissement d’aujourd’hui. Donc après l’ouverture des clubs c’est vrai que ça été un franc succès, premier restaurant au monde français à faire des petites portions, bien avant l’Atelier Robuchon et tous les autres… Donc nous avons été précurseurs dans ce domaine par l’approche et les produits du terroir. En France, c’est une entrée un plat un dessert, mais le problème c’est que quand on allait au restaurant, petits, ma mère préfèrait deux entrées et un plat. Le dessert n’existait pas, pour des raisons de ligne ou de santé. Donc l’idée c’était de réduire le volume de nourriture. Dans cette optique ,le moyen le plus simple c’était de mettre une carte à base de petits plats. Il fallait rendre la cuisine du sud-ouest plus agréable à manger, plus flexible et ça a marché avec un engouement pour le fois gras qui maintenant est moins présent pour des raisons éthiques. Mais voila c’est ce qui fait la différence, les petits plats. Et après d’autres restaurateurs ont suivi avec la cuisine anglaise, scandinave etc…
Londres Mag : Comment voulez-vous que les clients se souviennent de vos plats ?
Pascal Aussignac : on joue sur l’émotion, on essaie de trouver un compromis, il y a différents types d’approche pour les clients d’un restaurant, il y a la personne qui est là pour juger, l’opportuniste, l’homme d’affaire, le couple, etc. Donc on délivre un type de cuisine, mais chaque table va se l’approprier différemment. Le goût ne sera pas perçu de la même façon, parce que chaque table a sa propre histoire, qu’on doit retenir : avoir pris du plaisir et un repas réussi c’est des clients qui reviendront. Donc le plus important c’est de se dire qu’on leur a apporté un truc inattendu et qu’ils s’en souviendront.
Le chef sauce Proust
Londres Mag : Votre trait de caractère ?
Pascal Aussignac : La curiosité
Londres Mag : Votre principal défaut ?
Pascal Aussignac : la rancune
Londres Mag : Votre occupation préférée (hors cuisine) ?
Pascal Aussignac : le sport
Londres Mag : L’autre métier que vous auriez pu exercer ?
Pascal Aussignac : C’est simple, lapidaire : tailleur de pierre, comme cuisine, c’est de la transformation du produit et ce produit-là, c’est la pierre.
Londres Mag : Ce que j’apprécie le plus chez mes amis ?
Pascal Aussignac : Leur folie
Londres Mag : Votre définition du bonheur absolu :
Pascal Aussignac : être en bonne santé et l’envie d’avoir envie
Londres Mag : Le pays où vous désirerais vivre :
Pascal Aussignac : Portugal / Lisbonne, j’aime les gens là-bas, c’est safe et ils ont le soleil.
Londres Mag : Votre endroit favori à Londres :
Pascal Aussignac : Derrière Spitalfields Market avec ses petites rues.
Londres Mag : Votre plat idéal pour un premier rendez-vous où déclarer sa flamme :
Pascal Aussignac : Le plat idéal serait… un plat de poisson je dirais, peut-être même des huîtres ! Oui des huîtres, mais à déguster assis !
Londres Mag : Votre vin coup de cœur du moment :
Pascal Aussignac : C’est un Espagnol, Pedro ximénez, j’adore les vins oxydés
Londres Mag : La couleur que vous préférez
Pascal Aussignac : bleu
Londres Mag : La fleur que vous préférez par dessus tout :
Pascal Aussignac : Je vais au marché aux fleurs toutes le semaines, je trouve les fleurs tellement magnifiques. Je dirais la pivoine en première, je ne peux pas les mettre au restaurant parce qu’elles tiennent pas, ce sont des fleurs interdites pour moi mais je les adore, comme les coquelicots aussi d’ailleurs !
Londres Mag : Un personage de fiction ?
Pascal Aussignac : Tintin
Londres Mag : Un super pouvoir que vous aimeriez avoir :
Pascal Aussignac : invisible
Londres Mag : Ce que vous détestez par dessus tout
Pascal Aussignac : la trahison
Londres Mag : Votre dernier plat avant de mourir
Pascal Aussignac : les frites à la graisse d’oie avec des coeurs de canard grillés au sarment de vigne, c’est le repas idéal. Ou des cèpes à la persillade.
Crédit Photo de Une par Jean Cazals
A propos du photographe
Lauréat du prix de ‘Best Food Photographer’ en 2012, Jean Cazals donne un éclairage élégant et graphique aux créations sensorielles. De son studio à Notting Hill ou à l’autre bout du monde, le photographe saisit l’identité des chefs francophones londoniens dans les pages de Londres Mag.