Lundi 18 février, Channel 4 a remis en cause la façon dont les pompiers ont géré l’incendie de la Grenfell Tower. En juin 2017, la tragédie avait choqué le Royaume-Uni entier en causant la mort de 72 personnes. Presque un an après l’ouverture de l’enquête publique, Londres Mag fait le point.
Les pompiers auraient-il pu éviter la mort de 55 personnes dans la Grenfell Tower ? La réponse semble être « oui » selon le documentaire « Grenfell: Did The Fire Brigade Fail ? » (Grenfell : Les pompiers ont-ils échoué ? »), diffusé hier soir sur Channel 4. Le 14 janvier 2017, c’est au 4e étage de la tour que les premières flammes apparaissent. Alors que le feu se propage à très grande vitesse, les opérateurs du 999 en contact avec les habitants des étages supérieurs leur demandent de rester chez eux… Jusqu’à ce que l’incendie rende la sortie de l’immeuble impossible.
Mario Gomes fait partie des survivants. S’il a réussi à évacuer ses filles et sa femme enceinte, son fils est mort-né quelques heures après la catastrophe. « Ils auraient sauvé tout le monde si la décision avait été d’évacuer… », estime-t-il. (« They would have saved everybody if the decision was to get everybody out… »). Si Dany Cotton, commissaire des pompiers de Londres, a assumé lors d’une audience qu’elle ne « changerait rien » au travail de ses firefighters ce soir-là, un employé anonyme a confié à Channel 4 : « Les signes alarmants étaient là. Nous aurions pu tirer des leçons. Les recommandations du médecin légiste de l’incendie de Lakanal House auraient dû donner à Michael Dowde (en charge de l’incendie la première heure, ndlr) les outils dont il avait besoin pour savoir que le feu allait se déplacer. Nous pouvions le voir venir. » (« But the warning signs were there. We could have learnt these lessons. The stuff that the Coroner recommended from Lakanal House would have given Michael the tools he needed to recognise that that building was not acting how it should have acted. We could see this coming. »
En clair, après l’incendie meurtrier au Lakanal House en 2009, les responsables de brigades auraient dû prévoir que les flammes allaient piéger les habitants se trouvant au-dessus du 4e étage de la Grenfell Tower. Il aura d’ailleurs suffi de vingt-sept minutes pour que le feu atteigne la pointe du bâtiment… et quarante minutes pour que l’ordre d’évacuer soit donné. Si le documentaire met en évidence le manque d’entraînement aux évacuations de masse chez les professionnels, il accuse aussi les opérateurs du 999 de ne pas avoir rappelé les résidents pour leur dire de quitter les lieux.
L’immeuble respectait-il les normes ?
L’enquête publique, ouverte en mai 2018, pointe du doigt la composition du bâtiment. Le revêtement en aluminium de celui-ci comprenait du polyéthylène, inflammable à très haute température. À cela s’ajoutent les portes donnant accès aux escaliers qui « semblent ne pas avoir été rénovées depuis 1972» (« do not appear to have been upgraded since installation in 1972 »), d’après Barbara Lane, ingénieure pompier agréée. Enfin, une étude a montré que les portes coupe-feu utilisées étaient de qualité médiocre : lors d’un test de trente minutes, ces dernières ont résisté aux flammes pendant seulement quinze minutes.
Le traumatisme se mêle à la colère
Vendredi 15 février 2019 lors de la Fashion Week, familles de victimes et survivants ont défilé. Entourés de modèles et de la chanteuse Emeli Sandé, leurs t-shirts affichaient le message : « 72 dead and still no arrests ? How come? » (« 72 morts et toujours pas d’arrestation ? Comment est-ce possible ? »). Au-delà de l’hommage, c’est surtout la colère contre les pouvoirs publics qui est montée sur scène. « Les autorités responsables ont réagi de façon inadéquate et tardive, accuse Yvette Williams, coordinatrice de campagne de « Justice4Grenfell » à l’initiative de l’action. Vingt mois plus tard, aucun changement ou amélioration important n’a été apporté et personne n’a été tenu responsable à ce jour. » (« The accountable authorities have been inadequate and tardy in their response and 20 months on, no significant changes or improvements have been made and no one to date has been held responsible. »)
Émilie Moulin