Tout au long de l’année 2018, Facebook a largement fait parler de lui ! Entre collecte de données de millions d’utilisateurs et implication dans des stratégies d’influences électorales, l’entreprise est touchée par plusieurs scandales. Son système est de plus en plus pointé du doigt. Londres Mag a voulu faire un point sur le réseau social, un outil d’une grande puissance.
Mark Zuckerberg : un patron dans une position très inconfortable
Depuis le scandale Facebook / Cambridge Analytica de 2018, l’entreprise peine à sortir la tête de l’eau. Son patron Mark Zuckerberg a été invité à s’exprimer sur les arènes institutionnelles et judiciaires du monde entier. Lors des séances de questions-réponses, difficile de reconnaître l’homme qui s’affiche régulièrement en sweat-shirt et qui représente un symbole de réussite. Le PDG a témoigné devant le Congrès états-unien et les députés européens en 2018, mais il a fui les parlementaires d’une dizaine de pays qui souhaitaient qu’il réponde aux questions d’un comité international extraordinaire. L’entreprise a été condamnée à de lourdes amendes et son système économique, basé sur le monnayage des données des utilisateurs, est de plus en plus remis en cause. Alors que le Règlement général sur la protection des données a été adopté en Europe en mai 2018, Facebook est appelé à être davantage transparent et respectueux des données de ses utilisateurs.
Face à cette pluie de critiques, Mark Zuckerberg a multiplié les déclarations pour tenter de conserver la confiance de ses utilisateurs. Dernière en date ? La tribune publiée le 25 janvier 2019 par le Monde et d’autres titres de presse, dans laquelle il défend l’utilisation d’une publicité ciblée, nécessaire pour conserver la gratuité du réseau. Il a ainsi déclaré : « Si nous nous engageons à servir tout le monde, alors notre service doit être accessible à tous. La meilleure façon d’y parvenir, c’est d’offrir un service gratuit, et c’est ce que permet la publicité. (…) Les gens nous disent que s’ils doivent voir des publicités, celles-ci doivent être pertinentes pour eux. Pour cela, nous devons comprendre leurs centres d’intérêt. Nous créons donc des catégories – par exemple, « personne aimant le jardinage et vivant en Espagne ». Mais ce…à partir de leurs données personnelles !
Tim Cook, le directeur général d’Apple, est en tête de file d’un mouvement de protestations contre les data brokers. Ce sont des entreprises, à l’image de Cambridge Analytica, qui siphonnent les données d’utilisateurs, les traitent et les revendent. Elles sont constituées d’agences de publicité, mais comptent également des partis politiques. Jeudi 17 janvier, il a publié dans le Times une tribune qu’il a nommée « Vous méritez la confidentialité en ligne. Voici comment vous pouvez l’avoir ». Pour cela, il demande à ce que la législation soit renforcée afin de « protéger les consommateurs et leur rendre le contrôle » sur leurs données. Il considère qu’une mauvaise utilisation des nouvelles technologies peut mettre en danger la vie privée des internautes. Néanmoins, il explique dans la tribune qu’il n’est « ni trop difficile », « ni trop tard » pour tenter de résoudre le problème. D’ailleurs, au Consumer Electronics Show qui a eu lieu début janvier à Las Vegas, une publicité provocatrice Apple affichait ces mots : « Ce qui se passe sur votre iPhone reste sur votre iPhone. » L’Europe est une autre victime de ces data brokers. L’association Privacy International, dont le siège est à Londres, a ainsi déposé des recours en novembre auprès d’institutions de régulation anglaises, irlandaises et françaises.
À l’heure où les nouvelles technologies et les réseaux sociaux mettent en danger la vie privée des utilisateurs, les réflexions se multiplient sur une utilisation plus éthique de ces outils. Le patron de Facebook a profité des résolutions de début d’année pour publier un billet sur son blog, mardi 8 janvier. Son objectif ? Organiser des rencontres avec des politiques, des experts et des citoyens pour réfléchir au poids de la technologie et de son réseau social sur la société. Ces discussions seront publiques et diffusées sur différents médias. Face à sa déclaration, le parlementaire britannique Damian Collins n’y est pas allé de main morte : « Nous pouvons aider Facebook à ce sujet. Mark Zuckerberg peut commencer sa tournée des débats de 2019 sur la “tech” en venant à Londres répondre aux questions du Parlement britannique. », a t-il déclaré dans un tweet.
We can help out @facebook here. Mark Zuckerberg can start off his 2019 tech talk tour by coming to London and answering questions from the UK parliament @CommonsCMS https://t.co/Bu7MGTBCJJ
— Damian Collins (@DamianCollins) January 9, 2019
Le député est une épine dans le pied de Facebook. À la tête de la commission sur le numérique, il a invité à plusieurs reprises Mark Zuckerberg à venir s’exprimer devant le Parlement britannique, notamment en ce qui concerne les fake news. Invitation que le patron a maintes fois refusé… Rappelons que son vœu de l’an dernier consistait à « régler les problèmes » de la plateforme. En espérant que cette année, il respecte mieux ses résolutions !
Facebook, terrain d’influence médiatique et politique
Facebook est un outil beaucoup plus puissant qu’il n’y paraît… Ses potentialités dépassent largement les publications de photos ou les conversations sur Messenger. Les Gilets Jaunes, en grande partie organisés sur cette plateforme, permettent de comprendre l’enjeu que représente le réseau social.
Son influence s’exprime d’ailleurs à plusieurs niveaux. En mesure de contrôler des milliards de posts par jour dans le monde entier, Facebook a d’abord un rôle majeur dans le débat public, comme un modérateur d’opinions. Comme son nombre d’utilisateurs représente son fond de commerce, Facebook est dans une position ambiguë. Il est dans l’obligation de supprimer les contenus dangereux, mais son modèle économique exige qu’il attire de plus en plus d’abonnés. La manière dont l’entreprise régule les posts est par ailleurs très critiquée, puisqu’elle est accusée de laisser passer de nombreuses publications haineuses ou responsables de désinformation. Voici comment elle filtre les publications : ce sont des dizaines de salariés qui se rencontrent le mardi matin, deux fois par mois, pour déterminer ce que les utilisateurs seront autorisés à écrire. Ensuite, les règles établies sont transmises à plus de 7500 modérateurs, qui œuvrent dans le monde entier et qui sont souvent peu expérimentés. Ces consignes font de Facebook, selon le Monde, « un arbitre bien plus puissant de la parole planétaire que ce qui a été dit publiquement ou que ce que la société elle-même veut bien admettre ». Le journal a pu lire les règles établies par Facebook. La source est un employé du réseau social, effrayé par le pouvoir de la société. D’après les écrits du Monde, ses soupçons semblent fondés… Les fichiers sont remplis de prises de positions et d’inexactitudes. Les salariés de Facebook ont fait des erreurs : des propos modérés ont été censurés et d’autres, extrémistes, sont passés entre les mailles du filet.
Mais Facebook est également le terrain de jeu de stratégies d’influences électorales. Et le Royaume-Uni n’est pas en reste ! Dans les jours qui ont précédé le vote du mardi 15 janvier sur l’accord du Brexit, différents groupes et partis politiques ont investi 1,1 million d’euros dans des publicités sur Facebook. Celles-ci appelaient les utilisateurs à entrer en relation avec leurs députés afin de les convaincre de rejeter le projet d’accord. D’après le site d’information américain Buzzfeed, la majorité des acheteurs étaient pro-Remain. Le groupe de campagne People’s Vote, en faveur d’un deuxième référendum, est en tête de file : 250 000 euros de son budget sont allés dans de telles publicités depuis octobre 2018. Un des problèmes de ces manœuvres politiques ? La plupart des pages qui ont réalisé ces achats ont voulu dissimuler la provenance des publicités, rendant la vérification des sources très ardue. Par ailleurs, les publicités politiques sont moins bien régulées au Royaume-Uni qu’en France. Il n’y a pas eu de changement quand au printemps 2018, la campagne du Leave a été impliquée dans une affaire de manipulation politique. La question est encore ouverte : le financement des publicités pro-Brexit propagées par le groupe de campagne a-t-il été légal ? Ce dernier est en effet accusé d’avoir illégalement dépassé son plafond de dépenses. Christopher Wylie, le lanceur d’alerte à l’origine des révélations de manipulation électorale, s’est d’ailleurs exprimé à propos du vote du 15 janvier : « Theresa May dit que le fait que le Parlement bloque son projet merdique d’accord est une “subversion de la démocratie”. La vraie subversion de notre démocratie a eu lieu quand Vote Leave a décidé de tricher en commettant la plus grande fraude sur les financements de campagne de notre histoire ».
Theresa May says Parliament blocking her bullshit Brexit deal is somehow a “subversion of democracy”.
The real subversion of democracy happened when Vote Leave decided to cheat by committing the largest breach of campaign finance law in British history.
— Christopher Wylie 🏳️🌈 (@chrisinsilico) January 15, 2019
Mais l’utilisation douteuse de Facebook comme un outil électoral n’est pas propre au Royaume-Uni. Au cours des campagnes pour l’élection sénatoriale en Alabama aux Etats-Unis, les candidats démocrates ont aussi cherché à influencer les résultats. Le Parti démocrate n’est pas directement à l’origine de la stratégie, mais il aurait permis le financement de plusieurs organismes, ces derniers devant tester l’art de l’influence électorale sur les réseaux sociaux. Depuis 2016, Facebook est dans le collimateur des autorités et de la justice américaine, qui soupçonnent la Russie d’avoir employé les réseaux sociaux pour tenter d’influer sur les résultats des dernières élections présidentielles américaines.
Laura Chinchilla, la présidente de la commission Kofi Annan qui s’intéresse aux élections et à la démocratie à l’ère numérique, s’est exprimée dans une tribune au Monde. Pour elle, l’exploitation des technologies numériques par des acteurs venus de l’ensemble du champ politique et qui n’hésitent pas à transmettre des fake news est une menace pour la démocratie. Selon elle, l’ère du numérique permettrait plus que jamais aux fausses informations et aux paroles haineuses de se déployer.
2018 : Une année noire pour le réseau social
En 2019, l’avenir de Facebook s’annonce sombre… La défiance face à l’entreprise, qui s’est retrouvée impliquée dans plusieurs scandales, semble avoir atteint son apogée en 2018… Quelles sont les critiques principales du réseau social ? Celles qui concernent son système économique, avide des données personnelles numériques de ses utilisateurs. En 2018, Facebook s’est trouvé au cœur d’une affaire révélée par le Guardian et le New York Times. Les données de plus de 87 millions d’utilisateurs du monde entier ont été collectées par l’entreprise Cambridge Analytica, dont le siège social basé à Londres a depuis fermé. Ces données ont été siphonnées illégalement. Facebook a reçu une amende de plus de 500 000 euros, la protection des données numériques de ses utilisateurs étant jugée insuffisante.
Cependant, la vie privée des utilisateurs Facebook semble toujours être en danger ! À ce titre, la journaliste Kate O’Neil de la revue The Wired a questionné le nouveau défi qui fleurit sur la plateforme : le 10 years Challenge. Le principe est simple : poster une photo actuelle à côté d’une autre prise 10 ans plus tôt. À propos du jeu à priori anodin, la journaliste écrit : « Imaginez que vous vouliez entraîner un algorithme de reconnaissance faciale basé sur des caractéristiques liées à l’âge (…). Idéalement, vous auriez besoin d’une base de données à la fois vaste et précise de photos de personnes. Cela serait d’une grande aide de savoir l’écart exact séparant les deux photos. Disons, 10 ans. ». Elle a ensuite ajouté : « il existe à présent une énorme base de données de photos soigneusement sélectionnées d’êtres humains à dix ans d’écart ». Si son intuition n’est pas fondée sur des preuves concrètes, les entreprises comme Facebook sont de facto en mesure de récupérer de telles données.
Un autre problème, tout aussi inquiétant, a été révélé par deux chercheurs de l’ONG Privacy International. Ceux-ci ont décortiqué 34 applications pour Android, ayant toutes été installées entre 10 et 50 millions de fois. Parmi ces applications, plus de la moitié transmettent à Facebook des informations de leurs utilisateurs, même si ces derniers ne sont pas inscrits sur le réseau social. Bien que ces renseignements restent relativement techniques (langue ou modèle du téléphone, etc), Facebook pourrait quand même être en mesure de savoir quelles applications ont été installées ou ouvertes sur tel ou tel smartphone, voire le sexe, la religion, ou la catégorie professionnelles de son détenteur. Méfiez-vous donc, entre autres, de l’application Kayak : elle informerait le réseau social de vos recherches et du détail de vos voyages. « Sans davantage de transparence de la part de Facebook, il est impossible de savoir comment les données que nous décrivons sont utilisées. », a déclaré l’ONG.
Les accusations contre Facebook ne faiblissent pas en ce début d’année 2019… La dernière en date a été formulée par le site d’information américain TechCrunch, qui a révélé ce 31 janvier que Facebook aurait payé des utilisateurs, dont certains âgés de seulement 13 ans, pour accéder via une application à leurs courriels, messages privés, historique de navigation et photos.
Thalia Creac’h