C’est avec son dernier album « Blitz », ancré dans le contexte d’incertitude du Brexit qu’Étienne Daho montera sur la scène londonienne à Brixton, le 19 janvier prochain. De l’élaboration de son disque à sa vie d’expatrié en passant par ses inspirations et son amour pour le vinyle, le chanteur français s’est confié à Londres Mag. Entretien.
Londres Mag : « Blitz » c’est la guerre éclair, mais la guerre contre qui ?
Étienne Daho : Ce n’est pas la guerre contre quelqu’un, c’est plus une anticipation… J’ai écrit cet album quand j’étais à Londres, au moment du Brexit et au moment des attentats. Ici comme en France il y avait un climat extrêmement tendu de nervosité et le mot « Blitz » revenait très souvent dans les conversations. Et c’est un mot qui est très beau. Court, avec une belle énergie. Il m’est apparu évident que c’était le titre à garder pour cet album.
LM : Vous avez dit que c’était l’album dont vous aviez toujours rêvé… Pourquoi ?
E.D : Oui, parce que j’ai toujours lutté contre ma propre culture. Quand on est très fan de certains artistes, on a envie de reproduire ce qu’ils font. Je trouvais que ce n’était pas la bonne voie à suivre. J’ai eu envie de creuser une veine française, creuser ma voie. Cela a pris plus ou moins de temps mais quand j’ai trouvé comment m’exprimer en français, j’ai eu l’impression d’avoir inventé quelque chose à moi. Le français, c’est ma langue. Celle avec laquelle j’écris le plus facilement. Quand on fait des textes, il faut vraiment les creuser au plus profond de soi. Je ne saurais pas m’exprimer ainsi en anglais et cela n’aurait pas la même saveur.
LM : Dans l’album, la chanson « Après le Blitz » est très longue. Que se passe-il après le Blitz?
E.T : Alors, je ne suis pas médium (rires). Dans l’album, il y a une chanson qui s’appelle « Nocturne » et nocturne, c’est à l’époque de l’apocalypse de Saint-Jean. Je ne souhaite pas l’apocalypse mais j’ai l’impression qu’un cycle arrive à sa fin. C’est pour ça qu’il y a une espèce d’insécurité et de nervosité de la part de plein de gens dans le monde. Je pense que c’est un nouveau chapitre qui arrive, on va renaître de nos cendres, de nos erreurs. J’ai l’impression que tout le monde va dans le mur, c’est assez angoissant. En même temps c’est dans des périodes comme celles-ci que la création revient, que l’énergie revient et les belles choses se refont. Je suis plutôt positif.
LM : Sur la pochette de l’album, vous portez une casquette. Un style qui rappelle celui de Lou Reed (chanteur du Velvet Underground, ndlr). C’est un père spirituel, d’une certaine façon ?
E.T : Oui, les amours musicaux, durent, se prolongent. Il y a toujours une affection toute particulière pour ces disques qui nous ont construits. Le premier album que j’ai acheté, c’est The Piper At The Gates Of Down, de Pink Floyd. J’avais 12 ans. Ça m’a marqué à tout jamais et les circonstances ont fait que je me suis retrouvé à vivre à côté de l’endroit où habitait Syd Barett.
LM : C’est pour cette raison que vous lui rendez hommage ?
E.T : Oui, le hasard a fait que je suis devenu ami avec le Duggie Fields, le peintre qui a conservé l’appartement. Il y habite encore, donc j’ai pu y rentrer… Me retrouver dans un endroit où un artiste comme celui-là a vécu, j’ai trouvé cela fou ! C’est l’endroit où il a fait tellement de chansons, c’était très émouvant. C’était vraiment inspirant et à partir de là j’ai écrit 4 ou 5 chansons.
LM : Vous avez beaucoup vécu à Londres… quelle est votre relation avec cette ville ?
E.T : J’ai passé plus de temps à Londres que j’en ai passé à Rennes. J’ai enregistré 5 albums ici… Quand je viens, c’est pour travailler. Je dis aussi que je viens me mettre au verre… ou au vert (rires). J’ai une espèce de rigueur de vie, d’écriture, je me lève très tôt. J’écris jusqu’à 11 heures et après je marche, je fais des photos et… je suis anonyme ! J’ai une vie normale, ici. Ça permet décrire. La célébrité malgré tout isole et l’isolement contraint l’écriture. Et puis, venir jouer ici c’est toujours une expérience unique pour moi. C’est assez émouvant de venir jouer à Londres car c’est une ville que j’aime vraiment, à la fois exotique mais très familiale.
L.M : Parlez-nous de l’aventure studio. Y-a-t-il quelque chose de particulier qui se crée lors de l’enregistrement d’un disque ?
E.T : Oui enfin, la vie des studios a un peu changé. Il y a beaucoup de home studios avant de faire les vraies choses avec les musiciens. J’essaie toujours d’enregistrer sur bandes parce que le son est différent. C’est vrai que sur un mp3 ce n’est pas flagrant, mais chez soi, sur un vinyle, c’est évident.
L.M : Parce que vous êtes aussi un amoureux du vinyle…
E.T : Oui. J’aime les belles choses. Le vinyle permet de laisser la musique infuser. Souvent, la première écoute d’un disque ne suffit pas. Il faut du temps, c’est une rencontre et c’est là que ça nous marque. J’adore la connexion avec l’objet. Il y a tout un rituel. Écouter l’ordre de l’album que l’artiste a choisi, cela permet de rentrer dans l’œuvre d’une manière qui se rapproche de la vision de l’auteur.
L.M : On va se quitter sur un petit dilemme : entre Les Beatles ou les Stones, qui l’emporte ?
E.T : Les Stones, parce qu’il y a une plus grande dangerosité et je crois que je préfère leurs chansons. Et leur longévité aussi ! Les Beatles ont eu une durée assez courte, les Stones sont encore en activité. C’est très louable et impressionnant d’avoir un groupe qui dure 50 ans, toujours créatif et qui va encore sur scène. Ça force le respect ! En plus, Mike Jagger est sorti avec Marianne Faithfull (rires).
Interview réalisée par : Solène Lanza et Émilie Moulin