Le cinéaste revient sur la terre de sa famille pour son dernier film sorti au Royaume-Uni, The Workshop. Dans son Atelier, Marina Foïs, auteure parisienne rencontre les jeunes du sud de la France pour la création d’un roman. Londres Mag a rencontré ce lauréat de la Palme d’or du Festival de Cannes pour aborder sa vision de la jeunesse.
Dans l’Atelier, vos personnages écrivent à plusieurs un thriller, alors que vous signez le scénario avec Robin Campillo. Est-ce une métaphore de votre collaboration ?
Pas vraiment. Le film évoque beaucoup de questions relatives à la création notamment par rapport à l’instrumentalisation des personnages. Antoine et ses camarades d’atelier reprochent à Olivia d’être la marionnettiste qui va les utiliser. Ce sont des questions que je me pose à chaque film et auxquelles j’essaie de répondre avec un casting de personnes concernées par les interrogations soulevées par le film. Cela est possible notamment en essayant d’impliquer les acteurs le plus tôt possible dans le processus pour leur faire partager la « responsabilité » de leur discours. Il y a beaucoup improvisations autour des scènes, des morceaux des dialogues récupérés, j’écoute leur façon de parler, d’être. Le film se nourrit de ce qu’ils apportent. Après, c’est moi qui choisis l’endroit de tournage et le plan à garder au montage. Après tout, je suis le chef ! (Rires)
Comment avez-vous trouvé ce casting jeune et vibrant d’authenticité ?
Il était clair pour moi, qu’il fallait trouver des jeunes dans la région. D’abord car c’était leur histoire. Ensuite parce que dans le sud de la France, il y a des accents particuliers. Nous avons cherché exclusivement à La Ciotat qui est une petite ville de 40 000 habitants. En allant dans tous les lieux où les jeunes se réunissent, dans les clubs de sport, sur les terrasses de café, les plages. Cela a duré presque 6 mois pour créer ces deux groupes, celui de l’atelier et celui du cousin. A chaque rencontre, c’était un travail passionnant de discuter, écouter,… nourrir le scénario. Ramener une actrice connue dans le film m’intéressait. Cette romancière (ndlr : jouée par Marina Foïs) qui vient de Paris, qui passe à la télé, qui a de l’argent, est pratiquement l’opposée des membres du groupe de l’atelier. Je voulais essayer de créer un face à face entre deux mondes au sein-même du casting, en faisant que Marina Foïs soit confrontée à eux et eux soient intimidés par elle sauf que rapidement, ils sont devenus très copains et j’ai eu l’impression que cette barrière que je souhaitais n’existait plus ! (Sourires) Il a fallu la fabriquer ! L’attention qu’elle leur porte, ressemble à celle qu’elle avait dans la vraie vie, vis à vis d’eux.
Vous avez tourné dans le sud et la région de la Ciotat que vous connaissez bien. En quoi ces paysages avaient -ils une importance dans ce film ?
C’était important pour plusieurs raisons : ce sont des paysages dans lesquels j’ai l’impression de me retrouver, où j’ai vécu quand j’étais plus jeune. Mais la ville de La Ciotat en elle-même est passionnante car elle porte toujours les stigmates de son passé, avec cette grande grue, ce chantier qui représente une sorte d’âge d’or de la ville et dont on garde les traces religieusement. Pourtant ce chantier est sorti de l’esprit de beaucoup et surtout des jeunes qui n’ont jamais connu son fonctionnement. Le film illustre le rapport à ce passé là et dans les conceptions propres de ces deux mondes qui se font face. Il y a le monde d’Olivia qui pense que regarder le passé permet de comprendre la vie contemporaine et celui des jeunes gens qui sont tellement pris par le présent et l’instantané que cela ne veut pas dire grand chose pour eux.
En mettant en scène des jeunes avec un adulte qui leur transmet leur savoir, n’est-ce pas une actualisation de votre film Entre les murs ?
Ce n’est pas un contexte scolaire mais un contexte où les gens travaillent ensemble, où le pouvoir est exercé. Celle qui apprend le plus dans cette histoire c’est sans doute Olivia, car elle a été confrontée à des situations qu’elle ne connaissait pas et qui l’ont questionnée sur son travail d’écriture. Antoine ne cesse de lui dire : « vous ne pouvez pas écrire car vous ne pensez pas et les choses vous ne les vivez pas. » Je pense qu’elle est remise en question de manière très forte, car le meilleur moyen d’enseigner c’est d’enseigner à soi-même. Accepter que la relation de transmission se joue dans les deux sens à chaque fois, pour moi c’est important, car c’est aller contre une espèce de stigmatisation possible avec ces jeunes. Ils n’ont pas la même culture que moi, ils en ont une autre qu’il va falloir de toute façon intégrer un jour ou l’autre car l’histoire est plus forte que nous. En acceptant l’idée d’être contaminé par l’autre tout le temps, chacun y gagne.
Dans cette nouvelle façon de vivre, il y a aussi la présence des vidéos sur internet et notamment celles visionnées par Antoine concernant un personnage d’extrême droite. Pourquoi avoir ajouté cette vision politique du personnage principal ?
Je ne pense pas qu’il y ait une conscience politique, je pense qu’il y a beaucoup d’ennui avec une envie de le combler en se donnant le sentiment d’être acteur de sa vie. C’est ce que propose chaque extrémiste, c’est « viens avec nous et tu auras un rôle à jouer ». Après malheureusement, l’extrémisme d’extrême droite est assez représenté en France aujourd’hui parmi les jeunes. C’est très douloureux de l’accepter. Et il est très représenté dans le sud de la France où Marine Le Pen a fait des scores souvent très forts. Je pense que ces groupes ont su exploiter l’ennui de ces jeunes. Antoine n’est pas plus à sa place dans ce groupe là que dans le groupe de l’atelier. Je ne pense pas qu’il y croie beaucoup mais il faut bien s’accrocher à quelque chose et c’est ce qui lui est proposé malheureusement. Cette violence naît de cela, d’ailleurs Antoine le dit dans le texte de fin « un homme peut tuer par ennui, moi j’aurais pu tuer par ennui ». C’est vrai qu’il faut avoir une certaine force et détermination pour échapper à cela, un moment il dira à Olivia : « mais vous, vous n’avez jamais envie de tuer quelqu’un. » Sans censure, ce serait une solution géniale (rires).
Ce que dit le film de manière plus générale, c’est qu’il est possible de donner un sens à sa vie à travers la création, comme ces jeunes qui veulent créer ensemble. Nous construisons des itinéraires, d’autres personnes que nous allons accompagner dans des révolutions personnelles et cela sert beaucoup pour donner un sens à sa propre trajectoire.
Laurent Cantet en trois questions
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Dans la réalité. Là, pour L’Atelier, cela est venu d’un vrai atelier d’écriture qui a vraiment existé à La Ciotat il y a 20 ans. Mais cela peut être un article de journal dans lequel une problèmatique me semble intéressante mais pas incarnée. Cela peut être un livre aussi, j’ai fait plusieurs adaptations mais chaque fois ce sont des questions qui me paraissent assez chères pour que j’y consacre 3 ans de ma vie. Car une fois que les réponses sont obtenues, elles m’intéressent moins.
Le souvenir de votre premier film ?
Le premier film était un des courts métrages. C’était un trac énorme le premier jour en arrivant sur le plateau en me disant : « bon là ça y’est il faut y aller ! » Ce trac, je le retrouve indemne de film en film, je commence à m’y habituer seulement maintenant. Lors de la création d’un film, il y a tellement de gens entraînés qu’il faut avoir la force de partager une sorte d’espoir, et cacher le stress. L’expérience m’a appris à gérer cela.
Quels sont vos futurs projets?
Je viens de finir d’écrire mon projet pour mes prochains films, il me manque encore les financements. Ce sera encore une histoire qui mettra en scène des jeunes gens à Paris qui seront confrontés à la violence des réseaux sociaux, en particulier de Twitter et comment cela peut se retourner contre soi ? C’est un sujet très actuel. Dans les relations entre les gens ou en politique, la puissance des tweets est terrifiante.
Propos recueillis par Solène Lanza
PRATIQUE
Du 13 au 18 au Ciné Lumière