A quelques jours du vote décisif du Parlement sur l’accord du Brexit, Londres Mag vous propose un entretien avec le journaliste et essayiste belge Marc Roche, auteur de Le Brexit va réussir.
Vous avez déclaré que vous étiez un fervent remainer avant le vote et vous êtes depuis devenu un partisan du Brexit, vous avez même demandé la nationalité britannique, qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?
Je suis Belge, je suis natif de Bruxelles, j’ai grandi avec les institutions européennes. J’ai toujours été pro-européen. Mes parents ont un souvenir très douloureux de la guerre et de l’occupation en Belgique et pour eux la réconciliation avec l’Allemagne était essentielle et il me l’ont inculquée. J’ai toujours été pro-européen et pendant le référendum j’étais un remainer pur et dur. Mon entourage était remainer et moi j’étais chroniqueur financier pendant 30 ans pour Le Monde et j’allais à New York, Cape Town et Paris, Bruxelles ou Francfort bien plus souvent que je n’allais à Sunderland, Middlesbrough ou à Liverpool. Je n’avais aucune idée de l’Angleterre profonde. Néanmoins je n’ai rien vu venir. Pour moi, le Royaume-Uni était très bien dans l’Union européenne. Il avait les avantages sans avoir les inconvénients, un pied dehors, un pied dedans. Je pensais qu’ils étaient contents. Quand le résultat est tombé j’étais effondré. Puis, petit à petit, moi le remainer de cœur suis devenu un soft brexiter de raison, un peu dans le moule de Theresa May, simplement parce que je pense qu’on ne peut pas trahir la volonté populaire dans le berceau de la démocratie parlementaire.
Le titre de votre dernier livre, Le Brexit va réussir, apparaît comme un peu à contre-courant dans un milieu médiatique européen plutôt anti-Brexit, comment vous situez-vous dans ce milieu en tant que journaliste et romancier ?
Pour moi le Royaume-Uni a toujours eu une dimension qu’aucun autre pays européen n’avait, une dimension planétaire. Même l’Espagne, qui a des liens l’Amérique du Sud, la France et la Belgique qui ont la francophonie n’ont pas cette dimension. J’ai toujours été frappé par le fait que tous mes amis britanniques ont quelqu’un de leur famille qui vit dans un pays du Commonwealth. La seconde chose qui m’a frappé est que je ne m’étais jamais rendu compte que la libre circulation des Européens était discriminatoire. C’était en faveur des blancs chrétiens, bon nombre d’entre eux racistes car venant de sociétés qui ne connaissent pas la diversité. Je me suis dit pourquoi ne pas mettre tout le monde sur le même pied car c’est un pays planétaire. Et enfin, culturellement, j’ai toujours estimé que le Royaume-Uni avait un avantage imbattable qu’explique sa prééminence dans les secteurs scientifiques, l’université ou les industries de pointe : c’est l’anglais. Tous ces arguments font que je vois un avenir, quel que soit l’accord, plutôt radieux pour le Royaume-Uni alors que je ne vois pas comment l’Union européenne peut se reformer.
Pourquoi pensez vous que le Brexit va réussir ? De quels atouts dispose le Royaume-Uni ?
Le premier atout est l’anglais dans le cadre d’une vision planétaire. Le deuxième point est la common law qui est pragmatique, pratique et qui est la loi du commerce international. Le troisième avantage est les liens établit par le Royaume-Uni avec les pays émergents. L’Union européenne était un obstacle au développement de ces liens, notamment avec la Chine. Là-dessus vient se greffer la City. Sans la dérèglementation européenne, bien que le Royaume-Uni soit tenu par des réglementations internationales, celui-ci va pouvoir faire beaucoup plus avec une City incontournable. La preuve est que les délocalisations ont été minimes. Deux autres éléments sont à mettre en avant. J’ai toujours trouvé que les Britanniques acceptaient les inégalités sociales ce qui est un avantage compétitif. Dans ce pays, les divisions de classes, les divisions régionales, les divisions sociales sont profondément ancrées. Les Britanniques sont darwinistes, c’est la loi du plus fort. Le dernier point est “l’économie de la connaissance” : les universités, les médias, les industries de la création mais aussi la robotique. Les Britanniques sont à la pointe. Tous ces éléments font que le Royaume-Uni a des atouts par rapport à l’Union européenne sans parler de l’atout migratoire.
N’existe-t-il pas cependant des aspects négatifs du Brexit ?
Il est clair qu’à court terme le Royaume-Uni va perdre à cause de l’incertitude créée et de certaines délocalisations. Mais, à moyen et long terme, je maintiens que le Royaume-Uni n’a que des atouts. Je ne vois pas d’aspects négatifs. Le seul aspect que je vois un peu c’est, qu’à l’inverse de la France, au Royaume-Uni il n’y a pas de tradition révolutionnaire, de manifestations massives. La seule chose négative est que l’augmentation des inégalités après le Brexit pourrait provoquer une hausse de la violence individuelle comme on le voit déjà aujourd’hui.
La possibilité d’un nouveau référendum a été relancée par la déclaration de l’avocat général de la Cour européenne de justice ainsi le Royaume-Uni pourrait décider de mettre fin à la procédure de l’article 50, pensez-vous que cela est envisageable ?
Un nouveau référendum est possible car en droit c’est faisable mais c’est impossible politiquement. Je pense que les gens qui ont voté pour quitter l’Union européenne feront en majorité le même vote. Va s’ajouter à ce groupe les remainers qui estiment qu’il faut accepter la volonté populaire. Cela fait que le résultat final d’un nouveau référendum risque d’être le même, ou peut être inversé, mais le pays restera toujours autant divisé. Un des paradoxes du Brexit est que ça a été une action populiste et xénophobe mais cela a évacué la xénophobie et le populisme car politiquement UKIP est rayé de la carte. Les poussées politiques se trouvent à l’extrême droite et à l’extrême gauche mais en raison du système électoral ne déboucheront sur rien. Le référendum n’est pas viable car si le remain gagne on aura de nouveau une réaction populiste. Pour l’instant, peut être grâce au Brexit, le Royaume-Uni est un rare pays où l’extrême droite ne perce pas.
Pensez-vous qu’il y aura un accord entre l’Union européenne et le Royaume-Uni ? Si oui est-ce que ce sera celui présenté par Theresa May ?
Dans la négociation, les Européens avaient toutes les cartes en main. Les Britanniques eux étaient demandeurs, désorganisés, n’avaient aucun plan B et ont lancé l’article 50 sans être préparés. Cela veut dire que le deal de Theresa May est imposé par l’Union européenne. Moi j’aime ce deal car j’estime qu’il réussit à séduire les deux camps. Il devrait satisfaire les remainers car le Royaume-Uni, grâce au backstop, reste dans l’union douanière aussi longtemps qu’il le veut sans aucune contribution. Il devrait également satisfaire les brexiters avec la sortie de l’Union européenne. Or, il n’en est rien. Je crois que personne ne veut du no deal car rien n’est prêt. Après un rejet possible de l’accord, j’ai un scénario. Etant journaliste financier, j’ai couvert la crise financière. Il s’est passé la même chose aux Etats-Unis en 2008. Le plan Paulson qui prévoyait d’injecter de l’argent public dans les banques américaines avait été rejeté en première lecture par le Congrès. Les marchés se sont effondrés, le dollar est parti en vrille et le plan est passé en deuxième lecture. Je crois que c’est ce qui va se passer avec l’accord sur le Brexit. Il ne faut pas sous-estimer le poids des milieux d’affaires qui sont favorables au deal de Theresa May et qui financent le parti conservateur.
Selon vous à quoi va ressembler le Royaume-Uni après le Brexit ? Certains dressent déjà l’image d’un paradis fiscal géant ?
Le Royaume-Uni, au niveau fiscal, au niveau blanchiment d’argent et au niveau absence d’investigation sur l’origine des fonds, est déjà un Etat voyou. Il existe des réglementations européennes en matière de contrôle financier qui n’ont pas empêché l’existence de ce paradis fiscal. Simplement il n’y aura plus de règlementations européennes, il va y avoir un peu plus de libertés mais c’est déjà une zone offshore de l’Europe. Aucun paradis fiscal britannique n’est dans la liste des paradis fiscaux de l’Union européenne. Le Brexit ne changera rien mais ça libèrera la City qui devra encore moins se préoccuper qu’avant de la règlementation. C’est un double visage que l’Angleterre a toujours eu. D’un côté elle travaille avec des organisations internationales comme l’OCDE et le G20 et de l’autre blanchit l’argent chinois.
Ne craignez-vous pas que le Brexit accouche d’une société divisée à la fois sur le plan politique mais aussi social et économique avec la hausse probable des inégalités ?
Le grand paradoxe du Brexit est que ceux qui ont voté en faveur du départ peuvent être les perdants. Tout va dépendre de la réaction des investisseurs industriels internationaux car les implantations étrangères sont, pour la plupart, dans des zones qui ont voté leave. Si les investisseurs étrangers restent il n’y aura pas d’aggravation des divisions régionales. La société est déjà profondément divisée. Les divisions sociales ont toujours été là, elles risquent d’être accentuées par le fait que les remainers vont être les gagnants car ce sont eux qui dominent l’économie de la connaissance. Les divisions régionales vont être accentuées par le Brexit mais, à long terme, le problème nord-irlandais va être réglé avec la démographie catholique. Les catholiques vont être majoritaires en 2025, je pense et donc il y aura une réunification. L’Ecosse de son côté ne peut pas se passer de la manne que représente le Royaume-Uni car c’est un pays pauvre.
En tant que Belge, comment envisagez-vous le futur de l’Union européenne ? Pourra-t-elle se remettre du Brexit ou va-t-elle se diviser ?
Je ne vois pas comment l’Union européenne peut s’en sortir à 27. La seule solution est un programme à la Macron de plusieurs cercles avec une Europe à plusieurs vitesses mais on est très loin de ça. Il est impossible de réformer l’Union européenne avec la recherche permanente du compromis. Le problème migratoire compte également. Le Royaume-Uni a un double avantage. D’abord c’est une île et c’est le seul pays européen qui a une vraie société multiculturelle. Il ne faut pas oublier que le Royaume-Uni quitte l’Union européenne mais il ne quitte pas l’Europe. L’Europe va rester essentielle dans les échanges commerciaux quel que soit l’accord, la relation future commerciale. Je suis plutôt optimiste pour le Royaume-Uni et pessimiste pour l’Union européenne.
Pourquoi pensez-vous que la Reine aurait voté en faveur du Brexit ?
La Reine n’a jamais dit quoi que ce soit sur le Brexit mais je pense que secrètement c’est une brexiter. La première raison est son âge. Le gros du vote leave regroupe des personnes âgées. La deuxième chose est qu’elle n’a pas d’éducation universitaire, elle a été élevée par des précepteurs, elle n’a pas de formation intellectuelle. A nouveau on revient au vote leave typique avec des gens qui ne sont pas allés à l’université. La troisième chose est que les piliers de son règne sont pro-Brexit. L’aristocratie se méfie de la société multiculturelle et est conservatrice. L’avenir de l’Eglise anglicane est du côté de l’Afrique anglophone et pas en Europe. Le troisième pilier, qui est militaire, a un avenir du côté de l’OTAN et pas d’une défense européenne même si le Royaume-Uni a des liens particuliers avec la France.
Pour aller plus loin:
Marc Roche sera présent lundi soir à une conférence organisée par The B&C Club autour de son ouvrage Le Brexit va réussir. Informations et places en vente ici
Propos recueillis par Julien Troussicot